L'Histoire des rois francs - Grégoire de Tours
Publié le 31 Mai 2011
L’Histoire des rois francs
De Grégoire de Tours
Edition L’aube des peuples, Gallimard
199 pages
Quatrième de couverture : Grégoire de Tours est né en 538. Après avoir étudié la Bible à Clermont-Ferrand, il a été élu évêque de Tours à l'âge de trente-quatre ans. Cette ville était un centre religieux et politique que se disputaient les Mérovingiens.
Pendant vingt ans, Grégoire a gouverné ce diocèse que troublaient sans cesse les luttes fratricides de nos rois. Il trouvait néanmoins le temps d'écrire l'histoire à laquelle il était mêlé de près. Quand il est mort en 594, il laissait donc un témoignage hors pair sur ce VIe siècle si peu connu et si important.
C'est l'époque où l'esprit francien succède à la mentalité gallo-romaine. Une nouvelle langue orale se forme, et le latin de Grégoire en épouse les mouvements naturels, les juxtapositions brutales, la rude vitalité : "Nous tenons en haute estime ta manière d'écrire, parce que le peuple peut la comprendre."
Lorsqu'une presque docteur es histoire s'enthousiasme pour le cheveu mérovingien, Yueyin et moi sommes immédiatement sur le qui-vive, prêtes à enquêter pour le bien de la science et de l'industrie capillaire. C'est comme cela que nous nous sommes retrouvées à quitter nos contrées nordiques habituelles pour un récit bien de chez nous.
Grégoire de Tours, évêque de la même ville a, tout au long de sa vie, raconté la vie des rois francs. Son témoignage est intéressant car il a vécu à cette époque et a donc cotoyé certains personnages dont il est question dans son Histoire des rois francs, écrite entre 574 et sa mort en 594.
Si l’on en croit le récit de Grégoire, les mérovingiens étaient des êtres aux moeurs étranges (ça doit être le fait de s’appeler Godomar ou Ragnachaire qui les rendait grognons). Si Clovis, avec lequel débute plus ou moins l’histoire, se révélait un bon chrétien (le brave homme n’allait trucider que les barbares non chrétiens et les briseurs de vase, parce qu’on ne rigole pas avec la décoration chez les francs, un homme de goût et de bon sens, donc), ses descendants sont décrits de manière moins glorieuse.
Le sens de la famille y est particulier pour commencer. On s’occupe de ses neveux, et puis finalement, on se dit qu’un jour ils vont devenir des concurrents (et puis leur héritage est bien tentant tout de même: Austrasie ou Neustrie, rien que les noms donnent des envies d’annexion), alors on les trucide pour s’emparer de leur territoire. Le problème, ce sont les frères ou les neveux qui ont eu le temps de devenir adultes ou les oncles qui ne sont plus tellement d’accord pour se laisser égorger ou pire couper les cheveux, car il faut le savoir, le Mérovingien est obsédé par sa chevelure longue et tressée et la perdre est une honte inqualifiable, cela ote toute prétention à la noblesse. Bref, chez le Franc, le cheveu court est vulgaire et la vulgarité c’est la seule chose inacceptable (le Franc a des accents wildiens, si on y pense). Autant dire que cette vision peu conventionnelle de la famille crée quelques conflits. Au mieux, c’est réglé à coup de meurtres crapuleux, avec ou sans torture, au pire, on règle ses comptes sur le champ de bataille et c’est la population qui trinque (on se demande comment il peut rester une population en Touraine et dans le Poitou après le nombre de saccages que subissent ces régions en une trentaine d’années).
En outre, la notion de serment y est autant à géométrie variable que l'affection familiale. Chez le Franc, le serment est honoré jusqu’à ce qu’un intérêt supérieur (de préférence tout personnel) se présente. Ce qui fait que les alliances se font et se défont à une vitesse folle au gré des menaces les plus pressantes ou des intérêts les plus primaires. Le Franc a deux obsessions, le territoire et l'accumulation des richesses. Ça fait deux fois plus de raisons de rompre ses alliances.
On peut donc dire que L’Histoire des Francs ne manque pas d’action. Les auteurs de fantasy moderne devraient en prendre de la graine. Il y a plus de morts, d’actes de barbarie et de trahisons en deux cents pages de cette chronique que dans douze tomes d’un cycle de fantasy moyen. Il faut dire que Grégoire va droit au but et s’embarrasse peu de descriptions (on sait tout des divers modes de torture de l'époque, il ne faudrait quand même pas contrarier la soif de savoir du lecteur). Ses seules digressions sont pour rappeler que tous ces comportements ne sont guère chrétiens. Enfin, Dieu a parfois d’étranges priorités, sa vengeance divine s’exerçant bien plus rapidement sur le fils qui critique les méfaits de son père que sur le père qui trucide allègrement tout ce qui passe à sa portée.
L’Histoire des rois francs se révèle être un récit passionnant, que j'ai trouvé étonnamment accessible (ma connaissance des mérovingiens est proche du néant) même s’il est difficile de suivre la généalogie ainsi que les régions disparues et les mouvements nombreux (des arbres généalogiques et cartes auraient été les bienvenus, internet permet heureusement en partie de compenser ce manque). Et comme le livre vient de sortir en poche, il n'y a plus de raison de se priver de ce monument de notre histoire de France.
Qu’en a pensé ma vénérée co-lectrice Yueyin, à la chevelure léonine et majestueuse qu’il serait dommage de couper (ne me demandez pas si je préfère l’égorgement, je serais aussi gênée que Clotilde pour ses petits-enfants)?
Et comme il faut rendre à Clovis ce qui est à Clovis (en l’occurrence, il faut rendre l’urne de Soissons), c’est grâce à Mo Vilain défaut (qui démontre avec brio que le cheveu peut être fier et court) et à son brillantissime et drôlissime billet que ce livre s’est trouvé entre mes mains, je vous invite à lire son fabuleux billet.