L'asservissement des femmes - Mill
Publié le 26 Septembre 2008
L’Asservissement des femmes
De John Stuart Mill
Titre original: The subjection of women
Première parution: 1869
Edition Petite Bibliothèque Payot
220 pages
Quatrième de couverture : Célèbre philosophe et économiste, John Stuart Mill (1806-1973) fut également l’un des premiers hommes féministes.
Dans sa vie privée comme dans sa vie publique, il s’acharna à démontrer la nécessité d’accorder aux femmes l’égalité avec les hommes, combat dont l’apogée fut la publication de ce livre en 1869.
Qu’il s’agisse de dénoncer l’état de sujétion des femmes ou de revendiquer pour elles, au nom de la justice et de la liberté, le droit à l’éducation, au travail et au suffrage, Mill apparaît comme le champion de l’émancipation féminine. L’Asservissement des femmes reste ainsi une œuvre primordiale dans l’histoire du féminisme.
J’ai ouvert ce livre en me demandant ce qui m’avait pris de l’acheter car je lis peu d’essais alors en plus, un qui date du XIXe siècle, mais j’étais curieuse de lire le texte d’un des premiers hommes féministes et je l’ai finalement beaucoup apprécié.
Dans la première partie, John Stuart Mill fait le point sur l’origine de la domination légale des hommes sur les femmes. Cette domination s’est faite dans un contexte de totalitarisme où les rapports de force étaient la règle. Mais à l’époque de Mill, la situation a changée. L’individu n’est plus condamné à être « par nature » ce qu’il était à sa naissance. Un homme peut s’élever dans la société (même si Mill en reconnaît la difficulté, rien ne s’y oppose légalement). Les deux seules catégories qui échappent à cette règle sont la royauté… et les femmes, destinées à n’être qu’épouses et mères. Mill nie l’idée d’aspiration naturelle à ces tâches. Si cela était si naturel, on n’aurait pas besoin de les y contraindre par la loi en leur interdisant toute autre possibilité. Mill a une vision libérale (à l’époque où ce n’était pas un gros mot) du problème. Laisser-faire est son mot d’ordre. Si les hommes veulent des épouses et des mères, ils doivent rendre cette occupation enviable et pas les y contraindre.
Dans la deuxième partie, la plus courte, l’auteur traite de l’inégalité au sein de la famille. C’est certainement la partie la moins actuelle, en occident du moins, mais le caractère historique des rappels la rend quand même intéressante.
Dans la troisième partie, Mill prône encore une fois un laisser-faire dans l’accès des femmes aux fonctions étatiques et à une profession, ainsi qu’à l’éducation et à la formation professionnelle. Le droit de vote est nécessaire pour garantir une prise en compte de leurs intérêts dans le débat public. Les fonctions de gouvernement, rien ne s’y oppose puisque l’expérience a montré que des femmes régnantes ne s’en tiraient pas plus mal que leurs homologues masculins. Enfin, Mill récuse les motifs d’incompétence supposée des femmes. Le passage sur la taille supposée du cerveau est assez savoureux.
La quatrième et dernière partie s’attache à répondre à la question du pourquoi de la volonté de changer la situation légale des femmes.
Bien sûr, si la situation des femmes n’est aujourd’hui plus la même légalement, il est surprenant de voir à quel point certains arguments mis à mal ici par Mill sont pourtant régulièrement repris dans la société actuelle (notamment sur la « nature » des hommes et des femmes), et en cela, cet écrit reste d’actualité dans une certaine mesure.
Au-delà de l’intérêt du contenu, j’ai trouvé l’écriture d’une fluidité et d’une limpidité étonnantes et qui rendent le livre abordable par le plus grand nombre. Il y a peu de déchets, les quelques redites ne sont jamais pesantes, dues surtout à la multiplication des exemples, elles permettent de ne jamais perdre le fil de la pensée de l’auteur. A lire donc.
Pour aller plus loin que le simple essai sur le féminisme, je trouve que le début de l’essai devrait encore être rappelé aujourd’hui, en ces temps où même la vision des sciences est en train de se transformer en valeur relative où la charge de la preuve tend à s’inverser dans certains domaines : Mill rappelle que la charge de la preuve pèse sur celui qui émet une hypothèse. En fait, s’il y a une chose que j’ai trouvée remarquable dans cet essai c’est la capacité de Mill, dont ce n’est pas le métier pourtant, à raisonner en scientifique et surtout, à rappeler ce qu’est la méthodologie scientifique. Une chose ne peut être acceptée comme vérité que si elle peut être répétée par l’expérience et est universelle. Il ne suffit pas de l’affirmer avec véhémence.
« Lorsque ceux qui bénéficient de privilèges font des concessions à ceux qui en sont privés, généralement la seule raison en est que ces derniers ont le pouvoir de les extorquer. Aussi bien, les hommes dans leur ensemble ne tiendront pas compte des arguments contre les prérogatives de leur sexe tant qu’ils pourront se dire que les femmes ne s’en plaignent pas. Ce fait permet sans doute aux hommes de conserver leurs injustes privilèges quelque temps encore, mais cela ne rend pas ceux-ci moins injustes. »