Roi du matin, reine du jour - McDonald
Publié le 28 Août 2011
Roi du matin, reine du jour
De Ian McDonald
Titre original: King of Morning, Queen of Day
Première parution: 1991
Edition Denoël Lunes d'Encre
480 pages
Quatrième de couverture : Emily Desmond, Jessica Caldwell, Enye MacCall, trois générations de femmes irlandaises, folles pour certains, sorcières pour d’autres. La première fréquente les lutins du bois de Bridestone quand son père, astronome, essaie de communiquer avec des extraterrestres qu'il imagine embarqués sur une comète. La seconde, jeune Dublinoise mythomane, se réfugie dans ses mensonges parce que la vérité est sans doute trop dure à supporter. Quant à Enye MacColl, katana à la main, elle mène un combat secret contre des monstres venus d’on ne sait où.
Creusant la même veine, âpre et magique, que La forêt des Mythagos de Robert Holdstock, Roi du matin, reine du jour nous convie à un incroyable voyage dans l'histoire et la mythologie irlandaises.
Roi du matin, reine du jour est un roman qui suit le destin de trois personnages féminins à travers trois époques, trois ambiances, trois narrations et trois histoires différentes qui au bout du compte n‘en forment qu‘une, celle de l‘Irlande et de la richesse de ses mythes. Le surnaturel y côtoie le réalisme cru, ce qui le rend assez inclassable.
La première partie, Craigdarragh, nous plonge dans l’Irlande de 1913 (l’époque du Home Rule, qui devait donner son autonomie au pays occupé par les Anglais). Le récit se présente sous forme épistolaire. Le lecteur suit l’histoire à travers les journaux intimes ou la correspondance des personnages. Les points de vue se succèdent donc, laissant jusqu’au bout planer une forme de doute entre l’explication surnaturelle et celle psycho-scientifique. Alors que ses parents la négligent (son père scientifique et sa mère passionnée de poésie, sont trop pris par leurs occupations), dans la grande demeure familiale, Emily s’enferme peu un peu dans un monde peuplé de créatures surnaturelles sorties tout droit du folklore irlandais (même si certaines références peuvent paraître plus anglaises comme un passage faisant fortement penser à l‘affaire des fées de Cottingley). La présence de Yeats (guest star de choix) plane sur toute cette partie qui se passe dans une région qui lui était chère et qui est souvent présente dans sa poésie. Mais ce n’est pas qu’un accessoire, McDonald donne l’impression d’avoir vraiment travaillé et pensé son roman dans le moindre détail. Yeats est à la fois le symbole du nationalisme irlandais du début du vingtième siècle, de la Renaissance littéraire irlandaise (mouvement qui a contribué à revaloriser la culture et les mythes irlandais) et était très attiré par l'ésotérisme, sa présence dans ce roman qui mêle l‘histoire de l‘Irlande au fantastique semble donc tout à fait naturelle.
Pour la seconde partie, Le front des mythes, on fait un saut en 1930. L’Irlande est coupée en deux, l’Eire est indépendante et sort d’une guerre civile. La lutte armée continue avec l’IRA. C’est dans ce contexte que vit Jessica, menteuse patentée qui vit ses fantasmes plutôt que d’assumer une histoire douloureuse et refoulée. La narration est classique (la majeure partie du récit est à la troisième personne avec l’utilisation de la première personne pour un personnage récurrent) C’est la partie que j’ai préférée, pour ses éléments fantastiques très riches et pour son propos, sur la guerre, le rôle des mythes dans la construction d‘un pays, l‘ennemi qui est souvent intérieur (« L’Enfer c‘est soi »)...
La troisième partie, Shekinah, se passe en 1990, en plein boom économique de l’Irlande. D’ailleurs, Enye est une femme moderne qui travaille dans la pub à Dublin. Mais la nuit, elle part à la poursuite de monstres, armée de ses sabres japonais et de son PDA. Ce mélange entre modes actuelles et mythes (qui s‘adaptent à l‘époque), lié à une narration qui fait des allers-retours dans le temps (de façon tout à fait bien maîtrisée) fonctionne parfaitement et ne perd pas le lecteur. La fin ne déçoit pas.
Roi du matin, reine du jour est un roman prenant qui allie une maîtrise parfaite d’un sujet et d’une forme ambitieuses (sans tomber dans l’excès) et la beauté de l'histoire racontée. Ça se lit toujours avec plaisir, on est très loin du pensum de l’auteur qui sous prétexte d’exigence se regarde écrire. Au contraire, Ian McDonald (ou tout au moins son traducteur) a un style très abordable. Qu’on connaisse les références culturelles ou pas (j’en ai certainement raté beaucoup, surtout dans la troisième partie), on suit l’histoire sans difficulté. Il n’y a pas de moments creux, c’est plein d’inventivité tout en réutilisant le pot commun des mythes, nommé ici le Mygmus, « domaine du symbolisme potentiel infini », sorte de matrice dans laquelle se retrouve tout l’imaginaire collectif issu du psychisme humain. Roi du matin, reine du jour est un excellent roman, à lire absolument.
Lecture commune avec Efelle (a-t-il autant aimé que moi?)
« Comment ce qui n’a jamais véritablement existé pourrait-il mourir? Ce n’était qu’un fruit de ton imagination prélevé dans le Mygmus pour se voir accorder une existence éphémère. Tout comme moi, d’ailleurs. J’ai de tout temps existé… le jeune guerrier héroïque, le protecteur et libérateur de son peuple destiné à mourir en pleine fleur de l’âge. J’étais présent bien avant que l’homme ne commence à accorder de l’importance à son histoire. J’ai été Scriathach l’homme-loup et la Flamme de la forêt. J’ai été Cuchulain le chien de meute et Diarmuid l’amant qui a trouvé la mort sur cette montagne.[…] le jeune guerrier-héros d’une nation nouvelle… un idéal impérissable. On dit qu’il n’y a en ce siècle pas de place pour les héros, pour les mythes et les légendes, mais la nature des hommes est immuable. »