Beowulf - Anonyme
Publié le 25 Juin 2010
Beowulf
De Anonyme
Première parution: autour du Xième siècle
Edition Gallimard
190 pages
Quatrième de couverture avec spoiler : Beowulf, poème narratif composé entre les Vè et Xè siècles, fut admiré par Tolkien, et l'est aussi par Borges qui y voit une préfiguration du roman moderne. Avant d'être fixés sur manuscrit, ces récits épiques étaient chantés à l'accompagnement de la harpe par les Vikings qui conquirent l'Angleterre et lui donnèrent ses traits durables.
On a comparé ces hommes aux héros d'Homère. Ils ont certainement le même goût de l'éloquence et des prouesses guerrières. Beowulf lui-même pourfendra trois monstres, dont le dragon-serpent qui le blessera à mort. La mort du héros annonce celle même d'une société. Ces choses sont expliquées dans une introduction sur un mode de vie perdu, mais fascinant pour le lecteur des années quatre-vingt.
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Étrangement, si Beowulf est le texte fondateur de la littérature anglaise, c’est parce qu’il est écrit dans la langue anglo-saxonne et pas parce qu’il raconte le passé (en grande partie mythologique) de l’Angleterre. En effet, l’intrigue se passe uniquement en Scandinavie. Beowulf appartient au peuple geat (ou goth dans cette édition) qui se trouve au sud de la Suède et il voyage au Danemark. Il s’agit en réalité de la transcription d’une histoire germanique en anglais.
On y retrouve ce qui caractérise les sagas et autres mythes fondateurs du nord de l’Europe. Comme dans tous ces récits, il y a l’importance de l’ascendance (on y est toujours désigné comme fils de), des éléments fabuleux, ici, des monstres, dont un dragon et tout y commence et y finit par des banquets (au cours desquels on raconte les aventures de héros ancestraux ou des exploits personnels car le héros anglo-saxon ne perd pas une occasion de se vanter). Les héros y sont surhumains (aussi fort que Cuchulainn, le héros irlandais qui tranchait des corps à la verticale, Beowulf peut arracher un bras à mains nues). Beowulf devra subir plusieurs épreuves, de plus en plus ardues au cours du récit épique. La bravoure est au cœur du texte. De ce point de vue, pourtant, Beowulf m’a semblé plus riche et plus intéressant que ce que j’ai pu lire dans le domaine jusqu’à présent car ce point est développé en opposition à la capacité à diriger un peuple. Beowulf, au début du récit représente la fougue de la jeunesse qui recherche le danger pour montrer sa bravoure tandis qu’on insiste sur la sagesse de Hrothgar, le prince danois : « Et tous racontaient la gloire de Beowulf, assurant que par les mers, que par les terres et leurs confins, et au nord comme au sud, que nul autre homme enfin ne le passe en bravoure. Mais ils avaient un mot pour Hrothgar. C’est un bon roi ! disaient-ils. ». D’ailleurs, dans le dernier tiers du récit, Beowulf devient lui-même plus âgé et sage.
Quand on a lu Tolkien (j’avais prévenu qu’il y aurait du Tolkien dans l’histoire), on ne peut que remarquer un certain nombre de détails qui lient ses œuvres à Beowulf. Il semble évident que Meduseld, le Château d’Or du Rohan a été inspiré par Heorot, la demeure du roi des Danois, Hrothgar. Au cours du récit, on croise d’ailleurs un Eomer, un Háma et un Froda (qui signifie « sage »). De même, et encore plus clairement, Tolkien a calqué certains événements du Hobbit sur la trame de la fin de Beowulf pour ce qui concerne le trésor gardé par un dragon et le vol qui va le mettre en colère.
Tout fan de Tolkien a donc quelques occasions de s’émerveiller à cette lecture. Les autres peuvent aussi lire ce texte très bien rendu en français sans déplaisir, pour peu qu’ils ne craignent pas trop le manque de psychologie des personnages (encore qu’il y en a plus que dans les sagas m’a-t-il semblé) et les petites incohérences. En effet, à l’époque, on ne s’embarrassait pas trop de cette chose particulièrement pénible pour l’écrivain moyen que l’on nomme cohérence. On raconte l’histoire de païens mais on est chrétien à une époque où c’est primordial, c’est un léger problème à priori. Qu’à cela ne tienne, mélangeons allégrement tout ça. Hrothgar le Danois ne connaîtra donc pas Dieu à la page 70 mais lui rendra grâce à la page 97 (on peut louer un tel sens de l’ellipse, qui permet une conversion en trente pages sans que le lecteur soit au courant). Ce genre de petit détail plus amusant que dérangeant ne gêne en rien la lecture.
Beowulf est un poème épique, ce qui implique des règles assez contraignantes : il est allitératif, la césure y est fondamentale…. La traduction en est quasiment impossible en respectant ces règles. La version éditée par Gallimard est une traduction en prose de Jean Quéval. Elle est très plaisante à lire, à défaut de rendre l’aspect oral du texte original. Je lui reprocherai quand même un petit défaut. La volonté de simplification est à la limite de l’excès. Ainsi, “O'er Heorot he lorded, gold-bright hall, in gloomy nights” devient“Dans la demeure même du prince danois, sous les ors de la haute voûte, Grendel tapi invisible tramait sa sinistre toile. ”. Ou pourquoi faire clair quand on peut faire obscur. A la décharge du traducteur, il explique son choix dans l’introduction (et son choix est cohérent et tout à fait respectable puisqu’il s’agit de la volonté de respecter la tendance à la métaphore du texte d’origine et de traduire de cette façon des mots qui n’ont pas d’équivalent exact en français moderne, le « hall » du texte original n’ayant pas le sens exact de notre « hall » français). Cependant, je ne peux m’empêcher de regretter cette volonté qui rend certaines choses moins évidentes, comme le lien entre Meduseld et Heorot. Etant en outre une adepte de la note de bas de page (ou de fin de volume, ne soyons pas sectaires), le choix de garder le terme mais de l’expliquer en note m’aurait semblé plus judicieux. J’ai fini par lire avec une version anglaise trouvée sur Internet sous les yeux pour comparer en permanence.
A part ce léger défaut, et une tendance à utiliser des termes de monstres trop anachroniques (comme ‘vampire’ ou ‘hydre’), j’ai été enchantée de cette traduction en prose qui m’a permis de prendre un grand plaisir à cette lecture.
L’arrivée de Beowulf à Heorot :
En vieil anglais :
Strǣt wæs stān-fāh, stīg wīsode
gumum ætgædere. Gūð-byrne scān
heard hond-locen, hring-īren scīr
song in searwum, þā hīe tō sele furðum
in hyra gryre-geatwum gangan cwōmon.
En anglais moderne:
STONE-BRIGHT the street: it showed the way
to the crowd of clansmen. Corselets glistened
hand-forged, hard; on their harness bright
the steel ring sang, as they strode along
in mail of battle, and marched to the hall.
Version de Jean Quéval:
Ils avançaient sur un chemin pavé de pierres. Luisaient les côtes de maille, cliquetaient les armes contre les armures.
Voyons ce que ma camarade Valar de délires en vieil-anglais en a pensé. Car oui, avec Yueyin, nous sommes capables de faire des lectures communes improbables.
* Les boissons non alcoolisées ont un effet très bizarre sur Fashion et moi. C'est la seule explication.