Looking for Eric - Loach
Publié le 29 Avril 2009
Grande-Bretagne – 2009 – 120 min
Réalisé par Ken Loach, scénario de Paul Laverty
Avec Steve Evets (Eric Bishop), Eric Cantona (Eric Cantona), Stephanie Bishop (Lily), Lucy Jo Hudson (Sam), Gerard Kearns (Ryan), Stefan Gumbs (Jess), John Henshaw (Meatballs)
Eric Bishop, postier à Manchester, traverse une mauvaise passe. Sous son nez, ses deux beaux-fils excellent en petits trafics en tous genres, sa fille lui reproche de ne pas être à la hauteur, et sa vie sentimentale est un désert.
Malgré la joyeuse amitié et la bonne humeur de ses collègues postiers qui font tout pour lui redonner le sourire, rien n'y fait...
Un soir, Eric s'adresse à son idole qui, du poster sur le mur de sa chambre, semble l'observer d'un oeil malicieux. Que ferait à sa place le plus grand joueur de Manchester United ?
Eric en est persuadé, le King Cantona peut l'aider à reprendre sa vie en mains.
J’ai eu la chance d’assister à une projection de Looking for Eric, le nouveau film de Ken Loach, qui sera bientôt en compétition à Cannes. C’était lundi soir à Paris. Je n’ai pas bien compris pourquoi j’ai été invitée dans la mesure où le cinéma n’est pas vraiment ma spécialité et où je suis de moins en moins assidue dans les salles (l’organisateur ne pouvait pas deviner que j’avais revu Land and freedom quelques jours seulement avant son invitation, je suppose). Mais bon, je lis Ken Loach et je cesse de me poser des questions, j’accours, par pur réflexe pavlovien. Je n’ai pas raté un seul Loach au cinéma depuis Raining Stones, ça tombait bien de pouvoir en voir un avant la sortie officielle.
Après deux films assez durs, je pensais bien que Loach allait revenir à quelque chose d’un peu plus léger. J’imaginais quelque chose dans le genre de My name is Joe (que j’idolâtre) mais là, j’ai été très surprise.
Non mais qu’est-ce qu’il nous fait Ken Loach ? Ce n’est pas avec ce genre de film qu’on a un prix à Cannes. C’est un film – attention, aux âmes sensibles, là, je vais utiliser un gros mot – optimiste ! Pour un peu je dirais que ça peut même plaire au – attention encore une horreur - grand public. Cannes n’est plus ce que c’était, lorsqu’il fallait être sinistre pour l’emporter. J’avais bien remarqué ces dernières années un certain relâchement mais tout de même, il y a des limites. J’ai beau être vendue (enfin donnée puisque je ne suis même pas payée pour ça) à Ken Loach depuis un sacré bout de temps maintenant, je suis obligée de le constater, Ken Loach se ramollit avec l’âge. Ken, vous nous aviez déjà fait le coup il y a quelques années avec Just a kiss. Attention, Ken, si vous continuez à vous laisser aller, vous allez perdre la partie de vos spectateurs qui ne supporteraient pas d’oser aimer un film au sujet assez consensuel et qui veut juste que vous montriez que le monde-il-est-vachement-dur-voire-complètement-pourri. En sortant de la séance, j’ai eu une pensée émue pour les critiques de Libération et Télérama qui risquent de ne pas s’en remettre. Pour ceux qui comme moi, pensent que le monde est juste souvent un peu gris et qui pensent que le gris clair peut parfois l’emporter sur le gris foncé sans que tout leur système de pensée s’effondre, je vous rassure, ce film est parfait et toujours aussi humaniste. Je m’en fiche que votre film ait une morale assez banale (on s’en sort mieux à plusieurs que seul), qu’on soit presque dans un conte pas très philosophique (avec Eric Cantona dans le rôle de Jiminy Cricket ou de la bonne marraine la fée en plus barbue), vous avez ceci de commun avec Clint Eastwood que vous pouvez vous permettre d’user de quelques ficelles en restant vous-même et en faisant un bon film et rien que pour ça, vous êtes un grand.
Et c’est donc pour ça que j’ai beaucoup aimé, voire adoré ce film et pas seulement parce que le sujet en est le football, argument somme toute très peu présent. Le foot est plus là comme lien social pour les supporters que comme objet d’étude en lui-même. Pas besoin de connaître le sujet pour apprécier ce film (les quelques images de matchs permettent juste de comprendre la ferveur populaire inspirée par Cantona). Etrangement, ce n’est pas tout à fait du Ken Loach (il y a une grande légèreté inattendue et un peu moins de conscience sociale que d’habitude) et pourtant, c’est complètement du Ken Loach (parce que c’est filmé, écrit et joué comme du Loach et qu’il est inimitable) et c’est ce que j’aime chez lui, cette capacité à ne jamais faire deux fois le même film tout en ayant une identité très forte. Loach a toujours su montrer des gens venant de milieux populaires de manière authentique. Pas comme des gens qui parlent de façon très artificielle, qui sont malheureux du matin au soir mais comme des gens qui se marrent au café entre potes, en faisant dans l’humour potache et parfois en dessous de la ceinture, alors qu’ils se demandent comment ils vont s’en sortir la minute d’après. Des gens que je pourrais connaître dans la vie, ceux des brèves de comptoir. Il y a donc toujours eu une forme d’humour dans ses films. Mais Looking for Eric est le film le plus drôle de Loach à ce jour. Là, c’est vraiment hilarant pendant les deux tiers du film. C’est presque une comédie sociale anglaise typique (ça tombe bien, j’aime) mais l’humour reste très loachien (ça tombe bien j’aime encore plus - quitte à inventer des mots, peut-être devrait-on dire très « lavertien » car c’est à Laverty le scénariste attitré de Loach que l’on doit les dialogues). Comme d’habitude, on a droit aux blagues vaseuses des copains du héros (la scène où « l’intello » du groupe arrive avec son livre de développement personnel sous le bras et essaie d’appliquer les théories du livre avec ses copains pas convaincus est hilarante et ce n’est que le début d’une longue série de scènes du même type) mais là, en plus on a un grand numéro de Cantona. Il apparaît ici comme LE Cantona footballeur tel que l’imagine Eric, tel que les amateurs de foot se souviennent de lui, poitrail toujours en avant comme un coq (merci Nathalie pour l’image) et regard impénétrable, celui qui surprenait la presse comme ses supporters par ses sorties absurdes. Evidemment, s’étant fait connaître hors des milieux du foot grâce à son fameux proverbe sur les mouettes et les sardines, Cantona passe son temps à égrener des aphorismes du même acabit, pour le plus grand désarroi d’Eric et le plus grand bonheur des spectateurs.
Ken Loach montre des supporters qui ne sont pas des hooligans mais des gens qui aiment le foot (et surtout leur équipe) comme d’autres aiment les livres, le bon vin, parce que ça les emmène ailleurs. Et c’est de là que tout part. Eric Bishop aime le foot et aime Cantona, joueur adulé de Manchester United, son équipe. J’ai aimé le personnage d’Eric Bishop. Il est tellement proche lorsqu’il se débat avec le monde qui l’entoure (son boulot qu’il fait sans passion, sa famille loin d’être parfaite…) mais surtout avec lui-même car le pire ennemi d’Eric, c’est Eric. J’ai beaucoup aimé la façon dont on remonte le fil de la vie d’Eric peu à peu. C’est en se confiant à un Eric Cantona sorti de son imagination que l’on comprend ce qui l’a conduit à se retrouver à contresens sur un rond point dans les premières images. Il est difficile de parler du film sans en dire trop, car le plaisir est aussi dans la découverte de l’intrigue donc je n’en dirai pas plus, si ce n’est que c’est un film qui parle du manque de confiance en soi, de l’attitude de fuite permanente, de renonciation, face à des situations que l’on ne maîtrise pas. C’est magnifiquement montré tout en étant tendre et amusant et Steve Evets est vraiment excellent.
Mais un film de Loach ne serait pas vraiment un film de Loach s’il n’y avait pas un minimum de drame social. Ici, ça arrive très tard dans le film et ça provoque un glissement vers plus d’émotion que de rire qui disparaît même pendant un bon moment. Eric se trouve impliqué dans les traficotages de son beau fils et ne trouve pas de solution pour s’en sortir. C’est là que la solidarité va jouer. Loach retombe sur ses pieds en reliant l’aspect social et la comédie et le film termine en apothéose.
Ce film a un potentiel de futures phrases cultes, et pas seulement parmi les proverbes crétins de Cantona. Avec la personne qui m’accompagnait, nous avons passé le trajet de retour à récapituler nos passages préférés et nous n’avons pas tout épuisé après avoir traversé la moitié de Paris et fait un bon quart d’heure de train de banlieue.
Looking for Eric est un film très juste dans la psychologie de son personnage principal mais c’est aussi émouvant, passionnant (nous n’avons pas vu les deux heures passer) et très drôle. Il peut aussi toucher un public plus large que le public habituel et si, grâce à ce film, les gens découvrent que Loach est loin d’être l’image typique du cinéma « d’auteur » difficile d’accès tel qu’on peut l’imaginer lorsqu’on n’est pas un cinéphile averti, mais que c’est au contraire quelqu’un qui sait rendre les questionnements de notre époque très accessibles et avec une grande justesse et beaucoup de réalisme, je ne serais pas vraiment surprise et en tout cas absolument comblée.
Loach réussit à me surprendre et à m’emporter à chaque fois. Que ce soit dans des films historiques comme Le vent se lève, des comédies sociales comme My name is Joe, des comédies romantiques comme Just a kiss, des films très sombres comme Sweet sixteen, ou des questions d’actualité comme dans It’s a free world, je le suis, même si je ne les aime pas tous avec autant d’ardeur. Je classe les films de Loach dans trois catégories : bons, très bons et excellents. J’en rajoute une quatrième, la classification ‘waouh’ (il parait que je ne suis pas douée pour les titres de rubriques), pour les plus surprenants mais jubilatoires et dans laquelle se place ce film.
J’ajouterai juste un petit mot pour la forme : « Ooh ah Cantona ! ».
Merci à Cinefriends pour l’invitation. Le film sortira en salles le 29 mai 2009.
Le site du film : www.lookingforeric.fr
Et puis, je ne résiste pas, parce qu’il est certainement le seul joueur français à avoir droit à son hymne officiel (et même à plusieurs) :
‘We’ll drink a drink a drink
To Eric the King the King the King
He’s the leader of our football team
He’s the greatest
French Footballer
that the world has ever seen’
Un peu d’humour purement loachien (retranscription de mémoire donc pas tout à fait fidèle mais l’idée y est) :
« - Qu’est-ce qui fait le plus peur à un caïd ?
...
La police ?
Non
...
D’autres caïds ?
Non
...
Sa maman ?
Non !
...
Les syndicats ?! »