Orgueil et préjugés - Austen
Publié le 19 Avril 2009
Pride and Prejudice
De Jane Austen
Première parution: 1813
Edition Collector’s Library
490 pages
En Angleterre, dans un petit village du Hertfordshire, au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, Elizabeth Bennet, jeune fille vive et intelligente, est l’une des cinq filles d’un gentleman, et sa favorite. En vertu de la loi, la propriété des Bennet, à la mort de Mr Bennet, passera aux mains d’un cousin éloigné, Mr Collins. Mrs Bennet rêve donc d’un bon mariage pour ses filles, surtout pour Jane, l’aînée et la plus belle.
Lorsque Mr Bingley, un jeune gentleman au revenu confortable loue une propriété près de Longbourn, la vulgaire et peu subtile Mrs Bennet se montre prête à tout pour encourager l’amour naissant de Jane et Bingley. Les sœurs de Bingley et Mr Darcy, un ami, voient cette relation d’un très mauvais œil. Il dédaigne cette compagnie vulgaire et montre beaucoup de condescendance, au point de se faire détester de tous malgré sa richesse. Et lorsque Wickham, un jeune et séduisant officier arrive et raconte à Lizzie ses déboires avec Mr Darcy, elle est prête à le haïr.
C’est la sixième fois que je lis ce roman et je l’aime toujours autant. A chaque fois, j’y découvre de nouvelles choses.
Le roman s’ouvre sur une des phrases les plus célèbres de la littérature anglaise : « It is a truth universally acknowledged, that a single man in possession of a good fortune, must be in want of a wife. ». Austen s’ingénie bien sûr à contredire cette première phrase en opposant à la vérité universelle, l’individualité et la recherche d’authenticité des sentiments. Par deux fois, Elizabeth va refuser de souscrire à cette vérité. Parce que si elle a des principes fermement fixés, elle refuse d’adhérer à une telle norme. Austen détourne le fameux « ils s’aimèrent au premier regard ». Là, c’est ils se détestèrent au premier regard (ou plutôt à la première parole), même si Darcy va être rapidement, à son corps défendant, attiré par Elizabeth. Mais les apparences sont parfois trompeuses et tout le roman va en être une démonstration. Ce qui m’amuse le plus est de constater à quel point le joug social joue le rôle d’opposant dans les romans classiques et chez Austen tout particulièrement. Comment lever les malentendus quand il est impossible de se parler seul à seul ? Le roman décrit donc une évolution longue de la psychologie de son héroïne Elizabeth (la narration adopte le plus souvent son point de vue) qui va apprendre à dépasser les premières impressions. La narration ne s’attache qu’aux petits événements de la vie courante d’une famille rurale anglaise mais elle le fait avec finesse et précision, et surtout, beaucoup d' humour. Elizabeth est certainement le personnage le plus moderne d’Austen, ce qui explique le succès du roman. Elle est dynamique, amusante et joyeuse tout en étant très perspicace et peu poussée au romantisme. Pourtant, cette perspicacité va parfois lui faire défaut et c’est son amie, la plus cynique Charlotte Lucas qui est la plus clairvoyante de tous les personnages du roman. D’ailleurs, la narration omnisciente ne manque pas de montrer de l’ironie lorsque l’état d’esprit de Lizzie y est décrit, surtout dans la deuxième moitié, lorsqu’elle commence à perdre ses certitudes. Le fait que l’ironie soit présente me rend le personnage plus sympathique que si elle avait été parfaite et perçue au premier degré.
Outre l’héroïne, le roman montre une belle palette de personnages féminins. Jane, la sœur aînée de Lizzie est belle et douce, presque naïve. L’affection entre les deux sœurs est très touchante. Charlotte Lucas, l’amie de toujours est donc cynique. L’amour n’entre pas en ligne de compte quand on parle de mariage, il s’agit avant tout pour elle d’obtenir la sécurité financière et de ne pas être une charge pour sa famille. Elle représente la vision traditionnelle du mariage de l’époque. Miss Bingley est également cynique mais est en plus prête à tout pour atteindre son but et est donc détestable. Lydia, la plus jeune sœur de Lizzie est un personnage vulgaire comme sa mère (c’est d’ailleurs sa préférée, même si ses préférences varient en fonction des possibilités de mariage), portée à s’amouracher du premier venu et est toujours ridiculisée. Et finalement, sur tous les mariages du roman, un est basé sur la seule raison, un autre est basé sur le seul sentiment (c’est celui sur lequel Austen ironise le plus et pour lequel l’avenir est le moins brillant même si les vauriens et les débauchés s’en sortent finalement assez bien chez elle). Les autres sont équilibrés. Austen développe encore son idée d’équilibre entre le bonheur individuel et le respect des conventions sociales.
Les hommes sont toujours décrits uniquement en fonction de leurs relations aux femmes (on ne les voit agir qu’en présence des femmes et on ne connaît jamais leurs pensées intimes). Mr Darcy est en apparence hautain mais il se révèle différent peu à peu. Il faut dire que ses débuts ne lui font pas vraiment honneur et que son assurance qu’il suffit qu’il demande quelqu’un en mariage pour ne pas avoir besoin de le faire avec un minimum de tact ne le met pas particulièrement en valeur. Il va donc découvrir que l’insulte n’est pas la façon la plus efficace de gagner l’amour d’une femme. Et puis, il va profiter de la leçon pour faire un effort pour s’ouvrir un peu aux autres. Mr Bingley est sympathique mais influençable. Mr Collins est un personnage comique qui a élevé la flagornerie au rang d’art de vivre. Mr Bennet est un personnage drôle (mais un père catastrophique) dont l’unique plaisir est de ce moquer de sa femme (qui est bien incapable de comprendre son ironie) et de ses trois plus jeunes filles, dont la sottise l’amuse.
Ce que j’aime le plus chez Jane Austen, c’est la façon unique qu’elle a de traiter des sentiments. Ce roman est basé sur une histoire sentimentale et pourtant, peu de sentiments amoureux y sont exprimés. Les deux seules « déclarations » précises et dont on sait tout mot pour mot sont deux demandes en mariage totalement ratées et qui sont là en manière de ressort dramatique. C’est un comble pour une histoire d’amour, la véritable déclaration est tronquée et le rideau se ferme sur les mots utilisés dès que les sentiments se dévoilent à leur juste valeur (c’est finalement au lecteur d’établir ses mots justes). Cela évite tout risque de mièvrerie et c’est certainement ce que j’aime le plus chez Jane Austen. L’amour n’y rend pas bête. En outre, je n’ai jamais lu de roman d’amour dans lequel l’argent prend une telle importance. On y parle plus d’argent que d’amour d’ailleurs.
L’aspect sur lequel j’ai porté mon attention pour cette relecture, c’est la complexité des relations sociales. Austen décrit pourtant un milieu très restreint, la « gentry ». Mais dans ce milieu restreint, j’ai noté cette fois beaucoup de nuances. Lady Catherine de Bourgh et Mr Darcy représentent la vieille garde. Mr Bingley représente la nouvelle aristocratie, récemment anoblie mais venant de la bourgeoisie commerçante, elle-même représentée par l’oncle de Lizzie, Mr Gardiner. Lizzie appartient aux deux mondes puisque son père appartient à la première catégorie et sa mère est issue de la dernière. Dans ce contexte, il est amusant de noter que les comportements des uns et des autres sont aussi liés à cette origine sociale (Miss Bingley, si prompte à critiquer les commerçants est finalement quelqu’un qui veut bien se démarquer de ses origines). Ce n’est pas l’aspect le plus important du roman mais ça ajoute encore à la qualité de l’analyse de la société de son temps et à la satire de l’œuvre d’Austen.
Tout cela est écrit avec la finesse et l’élégance mais aussi l’humour et la légèreté qui caractérisent l’auteur et que j’aime tant.
Orgueil et préjugés est mon roman de Jane Austen préféré, à l’exception de tous les autres.
Les œuvres d’Austen :
Orgueil et préjugés
Mansfield Park
Emma
Persuasion
Northanger Abbey
Sanditon (inachevé)
Les Watson (inachevé)
Lady Susan (œuvre de jeunesse)
Juvenilia (œuvres de jeunesse)