Drood - Simmons
Publié le 24 Février 2009
Drood
De Dan Simmons
Première parution: 2009
Edition Little, Brown
771 pages
En 1865, alors qu’il rentre de France avec sa maîtresse, le train dans lequel se trouve Dickens déraille. Dickens s’en sort indemne. Il raconte à son ami Wilkie Collins comment alors qu’il aidait les victimes, il a rencontré un personnage inquiétant nommé Drood.
Je suis totalement partiale et confuse dans ce billet et en plus il est long, je vous préviens dès maintenant donc ne venez pas vous plaindre après.
J’ai découvert Dan Simmons avec Hypérion qui est le dernier roman de science-fiction à m’avoir vraiment épaté. Ensuite, je l’avais retrouvé dans le genre policier avec L’épée de Darwin qui m’avait beaucoup déçu, n’ayant provoqué que l’ennui. Mais lorsque j’ai appris, il y a neuf mois, que Simmons préparait un roman se nommant Drood, la fan de Dickens que je suis ne s’est pas posée de questions, il fallait que je le lise. D’autant plus que j’avais lu Le mystère d’Edwin Drood qui est à la base de ce roman. J’attendais donc cette sortie avec impatience mais sans en attendre grand-chose, m’attendant au meilleur comme au pire. Heureusement, c’est le meilleur qui est arrivé.
Drood est un récit excellemment construit, complexe et envoûtant. C’est avant tout un roman sur la psychologie d’un homme, Wilkie Collins. C’est cet auteur du milieu du XIXe siècle, comme Charles Dickens, qui est le narrateur. C’est donc son regard qui est porté sur le récit et sur le personnage de Dickens, son ami. Car en effet, Collins et Dickens sont amis mais il s’agit d’une amitié particulière. Dickens est plus âgé et a pris Collins sous son aile. Dickens est très populaire et Collins pourtant gros vendeur de romans après le succès de La Dame en blanc est l’éternel deuxième, ce qui n’est pas sans le pousser à une certaine jalousie. Là ou c’est brillant, c’est que comme c’est Collins qui est le narrateur, il ne peut pas clairement dire qu’il est jaloux donc on comprend son aigreur en le lisant car il met une belle énergie à rabaisser sans cesse son ami. En fait c’est complexe car il a dans le même temps une sincère affection pour son mentor. Il n’arrive pas à se détacher de ce père symbolique qu’est pour lui Dickens. Cela donne un aspect parfois légèrement humoristique.
Dan Simmons mêle donc beaucoup d’éléments de la vie de Dickens et Collins à son histoire, les maîtresses, l’addiction grandissante de Collins au laudanum et la passion de Dickens pour le mesmérisme. Il a le sens du détail qui fait que l’on a l’impression de vivre avec Dickens et Collins, dans le Londres du XIXe siècle. Londres est très présent dans ce récit, le Londres des égouts même, loin du Londres aseptisé des romans victoriens. Même Dickens qui pourtant est l’un des rares à avoir traité des bas-fonds, n’est jamais allé aussi loin. On y rencontre aussi brièvement de nombreux personnages de l’époque, l’écrivain Thackeray, le peintre Millais, entre autres, on y découvre les influences des différents personnages les uns sur les autres Ainsi, j’ai découvert qu’Harold Skimpole, un personnage de La Maison d’Apre-vent avait pour modèle Leigh Hunt (c’est peu flatteur pour lui).
Mais le coup de génie de Simmons est d’avoir mêlé ces éléments de la vraie vie de ses personnages à une intrigue passionnante. Le récit se déroule sur cinq ans, depuis l’accident de train terrible dont Dickens est sorti indemne à sa mort en 1870, mort survenue alors qu’il était en pleine rédaction d’un roman, Le mystère d’Edwin Drood. Le dernier roman de Dickens est donc resté inachevé. Wilkie Collins rapporte le récit que Dickens lui fit de cet accident de train. Alors qu’il aidait les personnes blessées, Dickens rencontre un homme étrange, au nez et aux paupières coupés et qui dit s’appeler Drood. Ce personnage mystérieux et inquiétant (est-ce vraiment un homme ?) semble s’intéresser aux gens juste avant qu’ils ne meurent.
Collins va donc enquêter sur ce personnage mais aussi bientôt, sur la relation étrange qui semble s’être nouée entre Drood et Dickens, enquête qui va le mener dans les sous-sols de Londres, parmi le parias et les consommateurs d’opium. Le comportement étrange de Dickens l’intrigue. Pourquoi rencontre-t-il Drood secrètement ? Pourquoi visite-t-il des cimetières et s’intéresse-t-il tant à la chaux vive ?...
Et lorsque l’enquêteur Field (qui a servi de modèle à l’inspecteur Bucket dans La Maison d’Apre-vent) se mêle à l’histoire, les événements deviennent encore plus inquiétants et dangereux.
Au fur et à mesure que son agacement personnel contre Dickens augmente, ses interrogations se multiplient. Et la menace de Drood et de ses adeptes se précise et se fait plus terrifiante.
Pour essayer de démêler les fils, il faut être attentif dès le début. C’est plein de détails, très dense et les quatre cent premières pages se lisent donc assez lentement. La suite est beaucoup plus vive, avec plus d’action.
Le roman est donc excellent d'un point de vue du suspense (même si de longs passages sont consacrés à la psychologie et à la description plutôt qu'à l'action), entre effroi et envoûtement mais en outre, la lectrice de Dickens que je suis est comblée par tous les détails se rapportant à ses œuvres (très compréhensibles pour ceux qui n’ont pas lu). Les références à L’ami commun, à La maison d’Apre-vent (mes deux romans préférés de l’auteur) et au Mystère d’Edwin Drood sont très nombreuses. Je chérirai les pages 206 à 212 à tout jamais. Les amateurs de Wilkie Collins y trouveront aussi leur compte en matière de détails sur sa vie et ses influences.
Pour être honnête, j’ai relevé quelques minuscules défauts ici ou là, le plus gros étant certainement que l’écriture de Simmons peut difficilement passer, malgré sa qualité, pour une écriture du XIXe siècle (je n’ai jamais trouvé le mot « fired » pour « renvoyé » dans un roman du XIXe) mais c’est tellement passionnant que ça ne m’a jamais gêné. Une autre petite réserve est une petite facilité que s’est permise Simmons en créant un personnage de maçon qui s’appelle Dradles, trop semblable au Durdle du Mystère d’Edwin Drood, allant même jusqu’à se faire jeter des pierres par un jeune garçon. A ce niveau, ce n’est plus de l’hommage, c’est de la paresse, mais qui ne pourra de toute façon éventuellement gêner que ceux qui ont lu le roman de Dickens. Et de toute façon, dans ma partialité totale après ce qu’il fait dire à Collins à la page 748, je ne le retiendrai pas contre lui.
Voilà en fait un roman passionnant de bout en bout que j’aurai certainement envie de relire un jour tellement il m’a emballé.